HISTOIRE
« - Tu honoreras la famille Zhulin à partir de ce jour. Mon fils, tu seras Chasseur de Dragons. »
Ce sont les premières paroles prononcées par mon père à ma naissance. La famille Zhulin est probablement celle qui a terrassé le plus de ces magnifiques bêtes. Pour le pouvoir, pour l’argent, pour la renommée. ♦¤♦
Devant mes yeux écarquillés, la lame scintille.
« Mon fils, je te présente An Wù, la Sombre Danse, ce katana se transmet de père en fils depuis des générations. Le moment venu, il sera tien. Mais pour ça, tu vas devoir travailler dur et être digne de ce présent. »
Il m’ébouriffe les cheveux avant de ranger la lame et sortir de la pièce, un sourire sur les lèvres.
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Depuis ce jour, je me suis entraîné dur, pour mon père, pour ma famille. Pour pouvoir manier ce sabre, peut-être. Pour moi, les Dragons ne sont qu’une légende. La plupart sont morts, en partie par ma famille. Aujourd’hui, les seuls rescapés sont introuvables. L’argent, le pouvoir, toutes ces idées sont très loin de moi. Pourtant mon père dit qu’il faut perpétuer la tradition car un jour, ils reviendront. Et ce jour, la famille Zhulin sera là, prête à les accueillir, prête à voler leur pouvoir. Certains disent que cette histoire de pouvoir n’est que mensonge. Mon père nie en bloc ces affirmations. Pourquoi ? Parce que sont père avant lui y croyait, de même que le père de son père et ainsi de suite...
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Frappe, frappe, coup de pied retourné, esquive, balayette, esquive, coup de poing, esquive, double coup de pied. L’enchaînement habituel, celui déjà répété des milliers de fois, encore et toujours. Je le connais parfaitement, sur le bout des doigts. Pourtant, père insiste, je dois continuer, alors, aveuglément, je continue. Pour lui, puis, c’est la seule chose que je connaisse....
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Au loin je le vois, Zhao, mon père, travailler dur, tout les jours, dans les champs. Pour ramener quelques misérables pièces. La vie est dure, depuis la chute des Dragons ma maison a perdue toute sa valeur, avant respectée, aujourd’hui haïe et détestée. Ma mère, disparue, depuis ma naissance. Probablement une femme de joie …
Il rentre du champ, le sourire aux lèvres. Heureux de son travail. Il n’a jamais voulu que je l’aide. Je dois me concentrer sur mon apprentissage, sur la voie de la Lame.
Ainsi passèrent les années, je grandis, lui vieillit …
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« Meishù, le temps est venu, tu as fêté tes treize ans. Je t’ai enseigné mon savoir. Tu dois maintenant partir, tuer un dragon et revenir victorieux avec son pouvoir. La Sombre Lame t’accompagnera dans ta quête. »Je m’incline profondément. Il me dépose le katana dans les mains. Le fourreau est incroyablement léger. Je dégaine la lame, d’un noir profond on aurait dit que le sang de dragon se reflétait encore à l’intérieur. Je met fin à ma contemplation. Mon père a disparu. Accrochée au fourreau une bourse pends. Je la récupère, une belle somme. Fruit de son dur labeur.
Je me met à paniquer, seul, dans une campagne perdue. Je ne sais que faire. Je tente de retrouver mes esprits et de mobiliser le sang froid qui est en moi. Je respire profondément et entre en profonde méditation.
Lorsque que mes yeux se rouvrent, le soleil pointe le bout de son nez, mes membres sont engourdis mais c’est avec une agilité presque féline que je remonte sur mes jambes. Les cheveux dans le vent, je connais à présent ma destinée. Jusqu’à trouver un Dragon et son pouvoir je serais en cavale, cherchant pistes et indices, écoutant les rumeurs et bravant coûte que coûte toutes ces légendes pour découvrir la vérité.
C’est ainsi que débute ma quête. Une quête sans fin, c’est aujourd’hui que je m’en rend compte, cette quête est vouée à l’échec. Aucun Dragon n’a été vu sur cette terre depuis des milliers d’années …
Tel est la volonté de mon père pourtant, je serais donc plongé dans cette recherche jusqu’à ma mort. Je traverse monts et merveilles à la recherche de ces Dragons. Aucune piste, aucun indice, rien. Des loups sauvages, terrassés par la lame vive et indolore de la mort. An Wù est une lame fascinante, légère, mobile, d’un équilibre parfait. Elle est faite pour tuer, de la simple souris au plus grand des Dragons … Je croise des villages, des villes. Personnes ne me prend au sérieux. Mes ressources en argent diminuent à vu d’œil.
Un jour, je pousse la porte d’une taverne, l’endroit est animé. Parfait pour y passer la nuit. Une nuit dans une vraie chambre, cela fait si longtemps … Le lendemain une chance s’offre à moi, la tenancière recrute un serveur. Nourrit, logé, blanchit, je saute sur l’occasion. Probablement la plus belle des conneries de ma vie. C’est ainsi que je rencontre Yui, l’homme dont je suis éperdument amoureux. Grand, svelte, rêvant d’aventures il est pourtant coincé dans ce village. Je suis prêt à l’emmener, vivre ma quête avec lui, rien que pour qu’il soit près de moi. Quelques mois plus tard je me rend compte que vivre ici n’est pas fait pour moi. Je reste ici, près de lui, alors qu’il ne sait rien, ça me tue. Je préfère partir.
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« Meishù … où vas-tu ? »Je fais volte face, c’est lui, je préfère éviter ça. Pourtant, ce regard si triste ne ment pas. Une lueur d’espoir me fait renaître.
« Je pars, cette vie la n’est pas pour moi. »
« Reste donc une nuit de plus ... » se rapprochant de moi et plus bas
« … que tu ne regrettes rien ... » ♦¤♦
Si je ne devais choisir qu’une seule chose à retenir de mon passage sur terre, ça serait probablement cette nuit là …
Nombreux verres de saké sont vides, nous ne savons plus réellement où nous en sommes, ni lui, ni moi. Pourtant, nous savons ce dont nous avons envie, autant l’un que l’autre ...
Je détache mes cheveux, ils cascadent sur mes épaules. Yui m’attrape par les hanches et nos lèvres se joignent. Un goût sucré et légèrement piquant. Une odeur orangé. Je passe ma main dans ses cheveux, lui descends les siennes jusqu’à mes fesses. Je sent mon sexe durcir sous l’effet de son contact. Je glisse mon autre main sous ses vêtements. Il se laisse faire. Je lui caresse doucement la queue qui finit par durcir elle aussi. Il me projette sur le futon. Je défais mes habits et me retrouve, nu, devant lui, sans aucune honte. Il lèche langoureusement mon entre jambe et l’orgasme ne se fait pas attendre. Je répands ma semence dans sa bouche entrouverte. Respiration saccadée, je lui offre à mon tour ce plaisir, goût salé. A travers la sombre pièce je ne saisis pas tous ses mouvements. Pourtant, je me retrouve sur le ventre et je sent la sienne me pénétrer. D’une façon si douce et agréable. Il entame un allé retour et finit par lâcher un petit cris. Je me dérobe de son emprise pour l’embrasser. Nous finissons par nous endormir, enlacés.
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C’est ainsi que Yui se joint à mon aventure. Ne pouvant se résoudre à me laisser. Il se révèle être un excellent archer et grâce à nos économies nous pouvons lui offrir une arme digne de ce nom. Un arc superbe, taillé d’une seule branche, flexible et maniable, un arme digne de son possesseur. Nous survivons comme nous pouvons. Nous chassons, pêchons, tuons maintes bêtes sauvages qui veulent notre peau. Mais à son côté, je me sent enfin réellement vivre. Quand nos corps s’unissent c’est à se seul moment que je suis enfin complet.
La quête des Dragons ne s’en trouve pas plus avancée. Bientôt dix ans que je parcours ce monde. Je suis las, j’ai envie d’une vie sédentaire. Avoir un vrai travail, des amis, tout ce qu’on pourrait rêver d’avoir en étant nomade. Je soumet cette idée à Yui. Lui pourtant si désireux d’aventures, je le vois soulagé à cette proposition.
C’est ainsi que nous prenons le chemin du retour. Je voulais revoir la maison de mon enfance, retrouver mon père, après dix ans de cavale, il allait forcément accepter mon retour.
Là réside la plus grosse erreur de ma vie.
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La maison est en vue. Je la point du doigt et dis.
« C’est celle-ci, viens ! »Nous courrons donc à travers les champs jusqu’à la maison. Mon père est là, il a sacrément vieillit. Ses traits sont toujours aussi durs, je n’ai même pas le temps de m’annoncer qu’il se retourne. Il me dévisage, l’air dépité.
« - Tu ne l’as pas trouvé, n’est-ce pas ? »Je fais un signe négatif de la tête. Une lueur de tristesse naît au fond de ses yeux.
« - Là réside la malédiction des Zhulin … »Il se fait grand face à moi et dégaine l’épée toujours attachée à sa ceinture. Je recule d’un pas, le visage horrifié. Alors qu’il attaque, Yui s’interpose, juste attends pour sauver ma vie et donner la sienne en échange. Il s’affaisse. Je suis partagé entre la tristesse, la colère, la rage. Mon sang ne fait qu’un tour et toutes ses heures d’entraînements subies ressortent toutes seules. L’uppercut le frappe de plein fouet suivie d’un coup de pied retourné monstrueux. Zhao vacille mais se ressaisit vite, il frappe de nouveau avec son sabre mais je suis prêt et j’esquive l’attaque aisément, je me baisse et d’une frappe du pied le déséquilibre. Malgré son âge avancé il me domine facilement. Trop certain de cette victoire, aveuglé par la rage de la perte de l’être qui comptait le plus au monde pour moi il feinte puis attaque vers la droite. Mon point faible, il pivote sur son pied gauche et sans même regarder où sa lame se dirige me transperce jusqu’aux os de l’épaule droite à la hanche. La douleur irradie mes membres. Une fureur incomparable prend possession de mon corps. Sombre Danse entame sa mélopée funèbre. La lame siffle dans l’air et va se nicher juste en dessous de son cœur. Je m’effondre en même temps que lui, à bout de souffle. Triste, perdu, j’entends ses derniers mots.
« - La malédiction des Zhulin … après avoir … tué autant de Dragons … les bêtes majestueuses nous ont … maudit. Nous sommes contraint de … tuer … notre propre progéniture après que celle-ci … se soit exilée pendant nombreuses années … J’ai … dû tuer mon père aussi … qui avait lui-même tué son père avant … Je … Pardonne moi Meishù … pour tout … de ne rien t’avoir dit … d’avoir tué ton ami … tout … »Un sanglot me convulse. Je m’effondre à son côté.
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J’ouvre un œil. L’autre. La pièce est tamisée par un soleil réconfortant. Je regarde autour de moi, cet endroit m’est inconnu. Qu’est-ce qui … la vérité me retombe dessus d’un coup. La mort de Yui et je revis le combat contre mon père … Une larme coule le long de de mon visage. Je tente de me lever. Je m’assois sur le lit et je fais des geste amples avec mes bras. Une douleur allant de l’épaule à la hanche droite me traverse. Je pousse un cris de douleur. Quelqu’un entre en trombe dans la pièce. Elle me repousse sur le lit.
« - On se calme, la blessure est loin d’être cicatrisée. »
« - Où suis-je ? »
« - A Yuwang Chengshi, probablement très loin de chez toi. Mais tu étais dans un état critique, nous avions besoin du pouvoir des Dragons … »
« - Je n’ai plus de chez moi et les Dragons m’ont depuis longtemps abandonné et ils ont de bonne raison pour ça. »Je me lève, je suis nu, je passe une main tremblante sur la cicatrice, la plaie est à peine refermée, ma peau me brûle.
« - Combien de temps ? »
« - Bientôt huit mois … »
« - Pourquoi m’avoir sauvé ? »
« - Les Dragons me l’ont recommandé. »
« - Ils n’auraient pas dû. »J’aperçois mes affaires, je m’habille en serrant les dents. Je finis par accepter l’aide de la femme.
« - Merci … ? »
« - Yume. Et toi ? »
« - Meishù, … Meishù Zhulin »Son regard refroidit. Elle recule d’un pas.
« - Je vois, les Dragons m’ont dicté ma conduite. Ils avaient probablement leur raison, mais maintenant, je désire que vous partiez. »
« - Très bien, merci de votre hospitalité. Les Dragons ne seront pas déçus de vous. »Je récupère An Wù et l’accroche dans mon dos. A côté repose Kuài Feng, Vent Rapide, l’arc de Yui, je le prend avec moi. Je salue la femme dont et je sors. Le soleil se couche. Je marche. Repartir en cavale ? A quoi bon …
J’ai tout perdu, Yui, mon père, le semblant d’honneur qu’il pouvait rester aux Zhulin et même les capacités totales de mon corps. Je me sent raide et inutile. Je dégaine pourtant la Sombre Danse et entame un enchaînement. Au bout de deux figures je m’effondre. Mon bras droit est inutilisable au combat à l’épée ainsi qu’au combat à main nue. Mais il me reste un bras gauche, une jambe gauche. Je tente de bander l’arc, j’y parvient difficilement même si je n’ai jamais été doué à l’arc.
C’est ainsi que je recommence à m’entraîner, reprenant tout depuis le début ... Tout les jours, sans manger, sans dormir. J’ai perdu bien assez de temps comme ça.
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Je suis presque devenue ambidextre, je suis maintenant capable de reproduire les mouvements à la main gauche comme j’aurais pu le faire à la main droite. Mes mouvements manquent de précision, de force, je me sent impuissant. J’arrive maintenant à bander l’arc sans trop de difficulté et à viser une cible plus ou moins éloignée. J’ai eu vent que les Gardes de la citée d’à côté recrutent. Je compte bien aller y gagner ma vie. Protéger des vies pour rattraper la mienne.
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C’est ainsi que je suis rentré dans la Garde Meihua Chengshi. Prêt à donner ma vie pour protéger la cité. Je n’ai appris que très tard que la ville conservait des Dragons. Au moins, peut-être que si j’arrive à me repentir comme je suis sous leur yeux il s’en rendront compte et ma famille perdra cette malédiction. J’ai plus ou moins fait le deuil de Yui et de Zhao. Mon père était finalement un homme droit. Quant à Yui … peut-être pas au point de me relancer dans une relation amoureuse mais la chaleur de son corps me manque tellement que je serait prêt à jeter mon dévolu sur la première personne qui passerait par là …
Dans tout les cas, la vie continue et je crois que Meihua Chengshi me réserve bien des surprises.